Mon tour de flambe

Retour sur le marathon de Bruges 2019

10ème marathon, voilà bien un nombre qui en impose ! Pas le nombre en fait, car faites 10 pompes et vous n’impressionnerez que des grand parents prompts à féliciter leur petit fils en lui tendant une friandise « bien méritée ». Non c’est plutôt l’association de 10 et de marathon qui donne, peut être pas des contours, mais plutôt des alentours plus ronflants. Cet exploit n’est pas à la portée du premier kenyan venu. Pour preuve, quand je regarde le palmarès du recordman du monde de la spécialité, Eliud Kipchoge, je ne vois que 13 marathons à son actif. Et encore sur ce total, 2 concernaient des tentatives de record avec une quarantaine de lièvres qui le « portait » littéralement lors de la course, donc je suis en droit de ne pas les comptabiliser. Ainsi, me voilà à une longueur du meilleur marathonien de la planète, et il me semble que cette place soit loin d’être usurpée tant je donne à cette discipline.

 

Afin d’aboutir à ce nombre rond, mon ego et moi avions réussi à traverser la frontière pour nous rendre à Bruges. Fier et confiant suite à une préparation en tout point remarquable, je me demandais si la Belgique ne serait pas trop étroite pour mon ambition. Qu’importe, je semblais avancer en terrain conquis, relevant en chaque regard croisé un mélange d’admiration et déférence envers moi. C’était écrit, je serai grand dans ce petit pays !

 

Séance photo sur un podium déjà installé, autographe pour le retrait du dossard et discussion avec des organisateurs de course, je pouvais m’extraire de ces obligations rapidement afin de me concentrer sur le marathon, et c’est avec un sentiment de sérénité et d’assurance intense, qu’auréolé de mon bracelet indiquant un objectif de 3h15min, j’arrivais sur la ligne de départ. Le speaker n’attendant plus que moi, lança le compte à rebours et la course pouvait débuter sur l’air de The final countdown de Europe.

 

 

Très vite je sentis que mes jambes allaient m’emmener très vite très loin, que les 20km nous séparant de la mer allaient vite être avalés et que je serai rapidement de retour dans la ville afin de franchir, peut être pas en vainqueur mais tout du moins en patron, la ligne d’arrivée. Tout ceci m’apparaissant comme une simple formalité, je pouvais dès lors me concentrer sur l’ovation que semblait réserver le public à mon passage et l’honorer d’un salut sinon royal, tout du moins princier. Je n’entendis que des « Allez Gilles », « T’es le meilleur ! », « Tu vas gagner ! » (la langue parlée étant le flamand dans cette région, je me permets de vous offrir la version traduite) sur la première moitié de la course. Mais peut-être est-ce un grain de sable qui se mit dans ma chaussure lorsque nous étions sur la plage au 22ème km, en tout cas une sensation étrange vint à moi. Aurai-je présumé de ma force ?

 

 

Au 25ème km, je n’avais pas besoin de regarder mon chronomètre pour sentir une légère inflexion de mon rythme. Je demandais à un coureur avec qui je partageais la même cadence depuis un moment comment il allait, et son témoignage me rassura autant que son intonation intrigua. Si sa langue révélait qu’il n’était pas local, son accent en faisait avec certitude un autochtone. Lui aussi allait un peu moins vite mais espérait toujours finir en 3h10min. J’essayais d’accrocher le bon Wallon et avec cette ambition partagée, nous revenions vers Bruges. Mais petit à petit, les pas de ce partenaire de fortune semblaient s’agrandir quand les miens piétinaient. La force qui m’accompagnait jusque-là s’échappait en même temps que mes certitudes d’avant course et une nouvelle apparu subitement à la place lors du 28ème km : la fin de course risquait désormais d’être longue et pénible.

 

Tandis qu’à 14km de là, le carillon du beffroi sembla sonner le glas à mes ambitions afin de laisser place à une longue agonie, la procession longea les canaux, me fit revenir dans le centre-ville où à défaut de battre le pavé, c’est plutôt celui-ci qui prenait le dessus sur mes mollets. Les routes, étroites et sinueuses, n’entrouvraient pas l’espoir d’une arrivée prochaine. Le secret restait encore bien gardé, et ce n’est qu’au détour d’un virage que je vis enfin apparaître la ligne finale. Epuisé, la Venise du Nord avait eu raison de mon outrecuidance. Le chrono, sur mon poignet, était bien loin de mes espérances …

 

Je tentais l’oubli par le houblon mais cela n’a pas suffi. La bière, trop locale, teintait mon humeur d’une couleur assombrie. Le goût âpre de la 1ère gorgée donnait un effet râpeux, accrocheur sur la langue comme symbole d’un souvenir difficile à avaler. Les bulles remontaient et explosaient à la surface, fournissant réminiscence d’un souvenir amer, peu à peu évanescent. Car rassurez-vous, si la 2ème gorgée fut déjà plus paisible, la 3ème me donna le « ok » pour passer et penser à autre chose.

 

Ainsi nourrit douché, je noircissais mon cahier de notes et réflexions à vous faire partager. Écrire à chaud permet de ne pas oublier les sensations explorées pendant l’épreuve. Le ton s’allégeait à mesure que la plume et le temps s'écrivaient. Cela faisait plus de 5h que la course avait débutée et, accoudé à la barrière, je voyais s’égrener les derniers coureurs qui chaque fois m’arrachaient de ma feuille et mes pensées pour fournir encouragements et félicitations. C’est en ces occasions que ce sport apparaît comme pratique collective faite d’une solidarité que j’aime tant. Ce qui fut l’antépénultième me surpris autant qu’elle m’émue. Relevant à la hâte la tête, je la vis passer accompagnée de son supporter de compagnon. La foulée (ou le pas rapide) était fragile mais peu importe, ce n’était pas son style, ni son rythme qui attira mon œil mais bien la larme qui coulait au bord du sien. J’imagine que c’était son 1er marathon, et qu’à 50m de la ligne d’arrivée, sous l’ovation du public, elle prenait conscience qu’elle touchait au but, qu’après des semaines d’entrainements et avec une volonté féroce elle y était arrivée. Cette image touchante et la sensation qui l’a accompagnée fut, par bonheur pour moi, la dernière que je su retenir de cette course. Car en admirant cette scène, je ne pus m’empêcher de penser, qu’au même titre que tous les finishers de cette course du jour, elle aussi en toute humilité, avait gagné.

Écrire commentaire

Commentaires: 4
  • #1

    Nono (lundi, 28 octobre 2019 23:57)

    La saison a été longue!!!
    Un peu de repos pour retrouver de la fraicheur et le 11 ème du record....ou d'un nouvel article sympa.

  • #2

    ParoledeCoach (mardi, 29 octobre 2019 00:09)

    Merci !
    oui vivement le prochain pour une nouvelle occasion,,, de partage

  • #3

    jean stephane (jeudi, 19 mars 2020 15:01)

    félicitations Gillou je viens de parcourir tout tes articles une mention pour ta grand mère diététicienne .
    bises du sud...

  • #4

    ParoledeCoach (jeudi, 19 mars 2020 16:14)

    Merci pour ce commentaire